mardi 3 août 2010

Les derniers jours d'un immortel : tendre vers la perfection sans se trahir soi-même




(Merci à Futuropolis pour l'image)


J'ai entendu parler du "derniers jours d'un immortel" par plusieurs échos, généralement positifs lors de sa sortie. Après un rapide feuilletage en librairie, j'étais reparti convaincu que j'économiserai quelques zeuros, pour une triviale raison d'incompatibilité graphistique entre cet ouvrage et moi. Le critère peut paraître aussi trivial qu'approximatif (on me le dit et le redit), il vaut ce qu'il vaut. Et puis, en discutant par ci par là avec Yugen et avec des libraires ayant eu l'opportunité d'étudier l'ouvrage un peu moins superficiellement, je me suis rendu compte que quand la critique n'était pas dithyrambique, elle éreintait l'ouvrage avec une virulence de bon aloi. Et bien, donc, voici un ouvrage qui ne laisse pas indifférent. Au pire, me suis-je dit, je ne m'ennuierai pas. Et puis il est toujours bon de savoir de quel côté de la critique on se range, histoire de jauger les futures impressions averties des forums, libraires, et autres avis libres sur la BD...

Voici le pitch : Notre univers, bien longtemps dans le futur. Les êtres humains ont acquis la capacité de créer des clones (nommés « échos »), de récupérer leur mémoire, et ainsi de s'assurer une vie éternelle. Chaque être humain peut donc disposer de plusieurs échos, qui peuvent agir simultanément et en toute autonomie.
D'autre part, l'espèce humaine a intégré « l'Union », structure politique qui regroupe toutes les espèces pensantes de l'univers et permet aux différentes espèces de communiquer et de se comprendre.


Nous arrivons au cœur de l'intrigue : dans ce monde remarquablement « lisse », où la mort définitive n'existe pas, où la technologie permet la téléportation et la transmission de pensée, où il est possible de vieillir et de rajeunir à volonté, tout semble possible. Mais les limites immuables du temps et de la compréhension perdurent, et s'érigent en obstacles à la toute puissance de la volonté des espèces pensantes. Ainsi s'est formé le corps des philosophes, qui est appelé à résoudre des affaires de meurtre (et il ne faut pas toujours croire qu'avec l'immortalité de fait le témoignage de la victime soit toujours éclairant), de médiation et de prise de contact entre espèces. Elijah en est l'un des tout meilleurs représentants. Visage angulaire, léger sourire avenant, d'humeur toujours égale et d'une remarquable perspicacité, il est respecté de tous. C'est à lui qu'on fait appel pour résoudre les affaires les plus compliquées. Il a la confiance des dirigeants de l'Union, et est à bien des égards, un représentant de l'espèce humaine auprès des autres entités de l'univers.
Sauf que... Derrière cette image de sage et de modèle se trouve un être humain, non une machine. Sa clairvoyance, le respect conscient et inconscient que lui témoignent les autre humains (jusqu'à ses proches) l'excluent petit à petit de la société dont il est pourtant le représentant presque ultime. Le suicide de son meilleur ami, Matthias, déclenche alors une remise en question : pourquoi ce dernier n'a pas fait appel à Elijah pour l'aider ? Comme quoi on peut être un spécialiste dans la perception des rapports entre êtres intelligents de toutes espèces, et ne rien voir venir lorsqu'il s'agit de comprendre son meilleur ami, dans le cadre de relations qui ne découlent pas forcément de codes ni de logique. Et Oh combien est-il difficile, alors, de se comprendre soi-même !? Nous suivons donc Elijah, charismatique et sans reproche, au long de plusieurs enquêtes au cours desquelles la réalité n'est pas toujours ce qu'elle paraît être. De fil en aiguille, on finit par ressentir, sous les aspects austères et neutres du héros, un mal-être lié à un univers où perfection ne rime pas forcément avec bonheur.


Voici une histoire de science fiction tout à fait remarquable : un peu vieille école, certes, dans le sens où elle n'en rajoute pas des tonneaux en technologie et en effets spéciaux. Ici, le propos des auteurs n'est pas de nous expliquer comment tout fonctionne. A vrai dire, ils ne nous expliquent rien. Mais après tout : pas besoin de comprendre comment fonctionne un grille-pain pour se faire une tartine le matin, hein ? Le design des machines est minimaliste, à tout dire délicieusement rétro, et elles s'intègrent à merveille dans un décor qui s'ingénie (ce n'est pas toujours facile) à faire passer en arrière plan le spectaculaire et l'incroyable pour focaliser l'attention du lecteur sur le reste : dialogues, expressions, affaires en cours. Ainsi, l'univers tout entier est un peu « fade », même s'il nous réserve suffisamment de lieux et de concepts exotiques et inattendus (je pense à la piscine, aux sculptures itinérantes...). Les cases sont toutes en décors géométriques, les objets sont réduits à leur expression la plus simple et la mode vestimentaire en remontrerait en terme de sobriété et de manque d'originalité au costard cravate gris de nos hommes d'affaires. De grands aplats noirs, blanc, gris servent la plupart du temps de fond aux cases, transformées en scène théâtrale sur laquelle évoluent les personnages principaux, rarement des foules.
Les personnages sont, disons le terme, moches. En fait, ils se réduisent à quelques traits, très « ligne claire » à ses débuts, et ne se différencient parfois les uns des autres qu'à un petit détail anatomique (coupe de cheveux, menton un petit peu moins pointu...). En dehors d'Elijah, au physique volontairement très marqué, les humains sont ainsi "lissés" presque à outrance. On peut aussi trouver de mauvais goût les coiffures de certains personnages, à la limite du kitsch. Par contre, pour tout ce qui est des espèces extraterrestres, le trait s'autorise des fantaisies dépaysantes mais pas forcément déstabilisantes qui font parfois penser à un album pour enfants.


Le trait global tend donc à la clarté narrative et à l'absence de fioritures. Le noir et blanc et les décors épurés ouvrent en grand les portes de l'imaginaire, mais sans nous distraire du propos principal. Les auteurs nous font ainsi réaliser qu'on s'identifie d'autant mieux au héros que son univers est simple. Si les possibilités d'action sont rendues plus vastes par une technologie futuriste, l'être humain, lui, ne change pas. Les seuls éléments qui ne soient pas graphiquement ou conceptuellement simples sont les extraterrestres. Dès le début de l'histoire, le fossé entre les espèces se montre infranchissable, malgré les efforts manifestes de codification des rapports et de bonne volonté de part et d'autre. Mine de rien, sous ses aspects purement SF et imaginaires, il y a quand même dans ce roman graphique rondement mené quelques leçons de vie à méditer...


VEHLMANN, Fabien / BONNEVAL, Gwen de, Les derniers jours d'un immortel, Editions Futuropolis, 2010


Ajout au 14 avril 2013 :

 (photo TF)

Merci beaucoup à Gwen de Bonneval, qui s'est montré très simple et disponible au festival de la BD d'Aix en Provence. Une question se pose toutefois : comment se fait-il que cet auteur ne soit pas assiégé (comme certains autres) !? D'un côté, ça m'arrange, mais de l'autre... ça me chiffonne, quand même !

1 commentaire: