dimanche 1 janvier 2012

Le Baron Rouge - Souvenir de guerres



 Merci à Panini Comics d'avoir édité cet ouvrage, en espérant que Dargaud
ne laisse pas ce titre disparaître des rayonnages...

Résumé :
Novembre 1969. Un journaliste américain, Edward Mannock, vient interviewer Hans Von Hammer, héros de l'aviation allemande, surnommé « le Baron Rouge ». C'est alors un vieil homme proche de la fin, qui attend la mort, solitaire, dans un institut en Allemagne. Alors qu'il transmet son histoire, il perçoit dans Mannock l'écho de ses propres souffrances de soldat. L'histoire du journaliste, rescapé du Viet-Nam et de l'ancien pilote se rejoignent. En six chapitres, qui sont autant de jours de visite de Mannock à Von Hammer, six tableaux se dressent, ressuscitant les spectres de la guerre, que chacun des deux hommes ne peuvent oublier. En conjurant ces mémoires douloureuses, l'un s'achemine vers la mort, tandis que l'autre cherche une route pour continuer sa vie.


À  première vue...
... on pourrait penser que la première chose qui frappe dans cet ouvrage est le graphisme. Il est vrai qu'on imagine difficilement que ces véritables peintures qui explosent à chaque case puissent supporter efficacement la narration d'une BD. Erreur, erreur ! Si effectivement le médium utilisé ne se prête pas à la retranscription de succession d'actions rapides, elles portent en elles une charge affective qui permet de transmettre, avec une rare intensité, les émotions et les impressions du récit. Et le sujet du Baron Rouge est loin d'être la mise en scène de l'héroïsme des soldats sur un champ de bataille. Ici, Georges Pratt parle d'humanité, et plus précisément de ce que la Guerre laisse aux hommes qui l'ont faite. 


Un témoignage prenant

Il faut avouer que les dessins, quoique parlants et redoutablement efficaces passent au second plan quand Von Hammer commence à parler. En quelques phrases, le vieil homme alité acquiert une épaisseur presque palpable. L'absence de décors de cette chambre de « maison paisible » laisse toute la place aux paroles de l'homme, textes porteurs de vécu qui sont autant de messages puissants. On écoute alors l'ancien soldat nous projeter dans son passé, en vision subjective mais avec le poids du recul sur soi-même et de l'expérience.





Chaque chapitre, introduit par une illustration et une citation littéraire se rapportant à la guerre, apporte une vision du conflit. Vision d'abord froide, globale, presque mécanique ; mais sur laquelle viennent se superposer le ressenti des « héros »face à la réalité, la peur, l'incrédulité face aux situations que le conflit engendre, l'incompréhension, et la résignation quand enfin le passé devient un cauchemar qui s'acharne à modeler le présent. La vision de la guerre n'évolue pas : elle se précise. Dès les premières cases l'horreur des combats est présente. Mais c'est au fil des pages que les souvenirs des soldats font toucher au lecteur une fantasmagorie qui prend de la substance au fur et à mesure que les personnages l'expérimentent. Droit dans ses bottes, Von Hammer ne la renie pas, pas plus qu'il tente de l'exorciser (ce qu'essaie de faire -en vain- Mannock). Il la fait sienne, sans chercher à la justifier. D'où un regard glacial et détaché, mais pourtant très impliqué dans la narration.


En parlant de dessin...

Graphiquement, le style se prête à merveille à l'histoire. On peut regretter la confusion des (relativement rares) scènes de combat, qui pour le coup ne sont pas bien servies par le dessin. Mais pour tout le reste, les pinceaux de Georges Pratt dépeignent avec une noirceur toute à propos la chambre de Von Hammer comme les champs de bataille. Le dessin se focalise sur l'essentiel, le faisant ressortir d'une manière toute subjective, à coup de cadrages et de gros plans incisifs et percutants. Les détails des visages, des objets, surgissent de la noirceur ambiante à coup de contrastes qui donnent à penser que ce n'est pas le dessin qui représente, mais bien le sujet qui s'extrait de la page. Ainsi, à certaines cases d'une précision chirurgicale succèdent la confusion de toute une planche, qui colle au contexte de manière littérale. L'intensité de la scène ressort alors beaucoup mieux que si le décor et l'action étaient représentés avec simplicité et clarté.


Loin d'être une énième bd sur la première guerre mondiale (et accessoirement sur le conflit du Viet-Nam), le Baron Rouge propose une plongée dans l'esprit de deux soldats, marqués par les atrocités de la guerre. D'une lecture fluide et prenante, cet album vous propose une traversée de l'Histoire, guidée par un personnage impressionnant tout autant que captivant, et d'une rare présence. Une réflexion philosophique plus qu'un cours d'histoire, et qui vaut plus pour les questions et impressions qu'elle donne que pour les faits qu'elle relate. A méditer d'urgence, donc.

Georges PRATT, Le Baron Rouge : par-delà les lignes, collection Vertigo, Panini Comics, 2010 (édité pour la première fois en 1990 aux USA par DC Comics)

PS : Et encore mille fois merci à yugen pour m'avoir mis ce bouquin entre les pattes, vu que ça faisait des années que je n'étais pas allé le chercher en librairie, shame on me !

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