mardi 20 avril 2010

Au détour d'une balade, voici l'esprit de la forêt



(merci aux éditions Milan pour l'image)

Tout commence un peu comme dans le « Voyage de Chihiro » : une petite fille un peu amère dans la voiture de ses parents (ici, pour cause de récente désertion maternelle, il n'y a que le père) en route vers une destination inconnue. Puis il y a un tunnel, et tout change ; la ville cède la place à une campagne au doux parfum de nostalgie et d'authenticité, parsemée de rizières, de forêts, de chemins de terre... Vous voyez l'ambiance ! Seulement, Miyori nous fait du haut de ses onze ans un sacré numéro de fille blasée et un peu hors de la réalité, qui se raconte des histoires avec moults accents mélodramatiques et envolées lyriques. Son père, un brave type mais complètement hors du coup, ne fait manifestement pas le poids lorsqu'il s'agit de concilier vie professionnelle et fille à charge avec option auto-complications intégrée. Toujours est-il qu'il laisse Miyori entre les mains bienveillantes de sa grand-mère. Et pour Miyori, qui n'était jamais revenue dans le village natal de son père depuis ses un an (à moins qu'on dise « depuis son un an » ?) doit faire face à un brusque départ à zéro. Qu'importe ! La fillette a suffisamment de caractère pour faire face ! Oui, mais est-elle vraiment préparée à rencontrer des esprits de la forêt qu'elle seule peut voir ? A l'occasion d'une balade en forêt, nous nous retrouvons plongés avec elle et avec beaucoup de poésie dans une réalité parallèle, peuplée de petits esprits indolents ou farceurs, inoffensifs et craintifs, qui se cachent habituellement dans l'ombre des pas du promeneur. Les personnages, bien différenciés, ont tous leur caractère propre (pas toujours très approfondi, mais suffisamment) et peuplent fort agréablement l'histoire et les pages, avec un présence graphique tout en postures et regards bien travaillés. On apprécie les petits détails, les petites scènes et les moments presque contemplatifs qui modulent le rythme de l'histoire et délimitent le temps des hommes et le temps des esprits.

On pourra certes reprocher à l'histoire quelques facilités scénaristiques (quoi !? La grand-mère a une collection d'outils de chaman dans le grenier ? - Hein ? La forêt est menacée par un méchant barrage hydraulique ?) ou une conduite enfantine (et donc volontairement irrationnelle et simpliste) du récit. Mais bon ! L'héroïne est une fillette, les entités auxquelles on a affaire ne se formaliseront sûrement pas d'un traitement pas pointilleusement réaliste... Et le propos de l'histoire n'est pas de monter un thriller psychologique dont le moindre non-dit est inattaquable par un esprit cartésien mal placé. Ici, c'est l'intention qui compte, le ressenti, la justesse des personnages et la poésie de tout ce petit monde issu du folklore animiste japonais. Ajoutons à ça la thématique de l'enfant confrontée à une cellule familiale sur laquelle elle ne peut pas compter, à une mère irresponsable et à un manque de repères et nous avons un ouvrage ma foi fort sympathique, qui ne relève pas du chef d'œuvre mais qui ne peut pas faire de mal, et remplit plus qu'honorablement son contrat de belle histoire pour tous âges.

Ne jugez pas le dessin sur l'unique vision de la couverture en couleur (celle-là ne me convainc pas tout à fait). Le graphisme de l'ouvrage, tout en noir et blanc, dégage une espèce de (fausse) simplicité et une évidence qui le rend tout à fait approprié au récit. Pas de grands aplats noirs, pas d'utilisation excessive des trames ou de cases surchargées de détails. Pas non plus de cadrages compliqués ou d'explosions d'action en pleines pages. Non. Comment dire... Le dessin, tout en petits traits de plume, donne à la fois une impression de minutie et d'inachevé. Il en résulte des images un peu vaporeuses, parfois un peu figées, mais qui servent à merveille la narration et l'ambiance « surnaturelle » de la forêt de Miyori.

ODA, Hideji, La Forêt de Miyori, Editions Milan, collection Kankô, 2008

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