(Merci à l'ACAM pour l'image)
En résumé : 1915-1916. Alors que la Première Guerre Mondiale fait rage, le gouvernement turc, dirigé par Enver Pacha, organise méthodiquement le génocide de la minorité arménienne turque. Soldats engagés dans l'armée, civils, notables... tous les ressortissants arméniens, sans distinction d'âge ni de sexe sont déportés et abandonnés aux pillards et au désert. Destination : le néant, pour un peuple que les dirigeants turcs d'alors voulaient voir disparaître non seulement du monde des vivants, mais aussi de la mémoire de tous. Il y eut pourtant des miraculés de ces opérations, tels Aram, laissé pour mort au milieu des cadavres de ses compagnons de régiment, ou encore Sona, sauvée de la déportation des civils par un dirigeant politique opposé aux idées génocidaires, Nicolas. Il y eut aussi pourtant des témoins extérieurs, comme Armin T. Wegner, officier volontaire allemand qui témoigna en sacrifiant sa carrière et en trahissant sa patrie, alors alliée à la Turquie : « ils moururent de toutes les morts de la terre, les morts de tous les siècles ». Voici l'histoire, vue par les yeux de ceux qui l'ont vécue, du premier génocide de 20ème siècle. Qui ne fut,hélas, pas le dernier, ni le moindre.
L'auteur, Paolo Cossi, fait ici un travail de réflexion, d'histoire, tout autant que de mémoire. Après avoir collecté les témoignages, il a écrit un scénario morcelé en chapitres courts, qui racontent chacun des fragments d'une seule et même histoire, vue par plusieurs regards différents. Il décrit l'horreur d'un drame humain : celui de tous les morts, bien sûr, mais aussi celui de la noirceur des hommes (car il s'agit bien d'hommes) qui ont ordonné, et agi. Noirceur qui ressort des communiqués brefs et impersonnels du ministre de l'intérieur Talaat. Ou encore noirceur du cynisme hautain de Enver Pacha répondant à Johannes Lepsius, un politicien allemand essayant de le convaincre de faire cesser les massacres. La noirceur humaine ressort tout autant lors des courts récits relatant la barbarie efficace des soldats turcs ou face à la passivité de certains civils. Passivité sans jugement, quand d'autres civils ont risqué leur vie pour sauver des arméniens.
Le récit est rapide, ponctué de citations empreintes de désillusion tout autant que de sagesse. Les pages sont alors volontairement noires. Leurs répondent plusieurs dessins inspirés de photographies, à dessein grossièrement ébauchés : grands coups de brosse en blanc sur noir. Le reste de l'ouvrage est plus classique : noir sur blanc, avec un trait très expressionniste, qui accompagne les émotions que suscite l'histoire, tout en mettant un voile entre le récit et la réalité. Le cadrage est classique, mais n'interdit pas au récit de parfois s'échapper des cases ; quelques pages deviennent alors illustrations, comme pour fuir les évènements ou suspendre la narration. L'auteur brosse ici toute une galerie de portraits, mais d'une manière paradoxalement assez impersonnelle. Il y a assez de passion dans les situations décrites.
On notera que le Corto Maltese de Hugo Pratt en prend pour son grade. Il faut dire que plus jamais, après avoir lu cet ouvrage, on ne considèrera Enver Pacha de la même manière.
Une question se pose, s'impose à moi en refermant Medz Yeghern : après être passé à côté de plaques commémoratives, après avoir lu comme tout un chacun des articles dans la presse et avoir entendu parler du génocide arménien... comment ai-je pu, en toute bonne conscience et en m'abritant derrière des connaissances purement intellectuelles, comment ai-je pu ignorer cela ?
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