mardi 28 septembre 2010

Le Musicien d'Oz, ou comme on aimerait que tous les classiques soient revisités


(Merci à Casterman pour l'image)

Résumé du tome 1 :
Dorothy et son petit ami sont mystérieusement emportés dans un monde imaginaire. Là, ils sont accueillis en sauveurs pour avoir écrasé le méchant et moche et pas beau et pas gentil (je me répète, là ?) Prince des Ténèbres. Oui : celui-là même qui avait décrété la musique interdite (d'où la flopée de qualificatifs élogieux, d'autant plus qu'ils sont mérités). Au cours de la fête de bienvenue organisée en cet / en son honneur, Dorothy, ado au caractère plutôt percutant, aidée par un état d'ébriété plutôt avancé, prend le micro et subjugue la foule. Son chant est plein d'énergie, à défaut de sens, de mélodie et de rythme. Désormais reconnue comme une grande chanteuse, elle part sur les chemins. Petit à petit, elle va former son propre groupe de rock avec une seule devise : porter la bonne musique aux quatre coins du drôle de pays dans lequel elle est tombée. L'histoire suivant la trame du Magicien d'Oz, Dorothy recrute des compagnons en cours de route : un bassiste impersonnel (le bûcheron de fer), la tête coincée depuis l'enfance dans un casque de scaphandrier, un guitariste-épouvantail sans cervelle, qui improvise et ne se rappelle jamais de rien, et un batteur à crinière de lion à la timidité maladive sur scène. Voguant d'épreuve en succès, notre ensemble se soude, forme un groupe d'amis, presque une famille... D'autant que, hasard ou pas, les trois nouveaux arrivants sont tous liés par leur passé, sans pour autant qu'ils s'en souviennent (fallait le faire).

(Casterman, encore...)
Résumé du tome 2 :
Après avoir triomphé au festival de la falaise, et avoir enfin reçu une reconnaissance officielle du public, le Dorothy's Band pensait être au début d'une merveilleuse histoire... C'est le moment que choisit un ancien sponsor de l'épouvantail, qui prétend avoir une clause d'exclusivité avec lui . Bilan : le groupe est orphelin de son guitariste, et doit faire sans. Heureusement qu'il y a des fans du Dorothy's Band partout, et même parmi les gens influents. Ainsi, suite à une procédure judiciaire rondement menée, le groupe peut enfin se reformer. Prochaine étape : passer une audition auprès du mythique label « Oz ». Ce qui se révèle vite dans les faits impossible, le prestigieux président de Oz étant inaccessible au commun des mortels. Ainsi, au lieu d'attendre des années une hypothétique rencontre, notre groupe prend le chemin du pays de l'Ouest dans le but de donner un concert, dont le retentissement pourrait leur ouvrir la voie vers Oz. Mais arrivé sur place, le quatuor déchante bien vite : une nouvelle princesse, copie conforme du méchant prince tout moche et pas beau du volume 1, interdit la musique (quoi ? c'est pas orginal ?). Bilan : presque tout le groupe se retrouve séparé et au trou, le lion étant même victime d'une balle perdue en pleine poitrine lors de l'arrestation (on rigole moins, tout d'un coup...).
A noter : Le bucheron de fer se retrouve confronté à un premier amour, et débute enfin le cheminement qui devrait le conduire vers l'acceptation de lui-même. (Tout ça pour dire que l'histoire, elle est aussi un peu psychologique, hein ?)
 
(et comme on change pas d'éditeur en cours de route... Casterman, toujours)
Résumé du tome 3 :
Désormais, tout le monde, sauf Dorothy, bénéficie d'une pension complète en prison. Là, l'épouvantail, à force de se frotter les yeux dans sa cellule obscure, devient aveugle. Toto, lui, est en butte à la violence de l'univers carcéral, tout ça par la faute d'un espèce d'hurluberlu arrêté en même temps que lui avec une guitare. Dorothy organise la contestation à l'extérieur, fait s'agiter les masses, mais c'est bien dans la prison que les choses évoluent : sous la houlette d'un bûcheron de fer qu'on ne reconnaît plus, tout le groupe se retrouve, et parvient à libérer le pays de l'Ouest du joug de la vilaine princesse. Une fois de nouveau libres et ensemble, nos musiciens sont  enfin convoqués par Oz. Mais cet entretien tourne vite court : Oz, loin de l'image qu'il donne de lui en public, leur révèle la vérité derrière la légende de la maison de production magique... et leur offre un super concert dans le pays du sud. Après ce concert en forme de révélation intérieure pour Dorothy, retour à la case départ : la réalité. Le come-back dans le monde réel est plutôt difficile, après ce rêve merveilleux... Mais toutes ses aventures relèvent-elles vraiment du domaine de l'imaginaire ?

Voilà des albums dont les couvertures m'avaient donné une impression de rock'n'roll attitude, d'histoire de musicos un peu déjantés à la Bremen. Puis la préface m'a donné un léger sentiment de déception, louant l'adaptation du classique magicien d'Oz (bla, bla, bla) par un talentueux jeune artiste coréen, lui même musicien traditionnel (pas vraiment ce à quoi je m'attendais, faut dire - ça m'apprendra à lire les préfaces). Et puis le dessin, tout en crayonnés plutôt bien faits d'ailleurs, m'a irrésistiblement fait penser à un blog, et je me suis dit que pour des pavés de 240 pages, si on adoptait le rythme narratif des blogs sur une seule et même histoire, ça risquait de pas le faire (c'était déjà le troisième effet kiss-cool). Puis enfin, les quinze-vingt première pages, tout en humour par l'absurde et surenchères de design graphique genre « monde imaginaire à la télétubbies » m'a fait conclure que bon, c'était joli et bien fait, mais que ça s'arrêtait là. Effet kiss-cool de trop, j'aurais pu en rester sur cette idée, après tout tout à fait fondée sur ce début de lecture. Mais le sort dont l'ironie (il me faut bien l'avouer ici) tourne parfois en ma faveur, m'a fait poursuivre un peu plus avant la lecture. Et grand bien m'en pris !

Il ne faut certes pas s'attendre à un compendium philosophique, ou à un album graphiquement expérimental. Pas non plus à une narration classique manwah ou manga ou franco-belge. Elle est un peu les trois à la fois. L'histoire non plus n'atteint jamais des sommets intellectuels qui justifieraient bac +9 pour en saisir toutes les subtilités (ce qui m'exclurait de fait - alors peut-être que j'ai rien compris à l'histoire en réalité). En fait, elle est remarquablement accessible.

Et surtout, ça se laisse lire ! L'univers graphique est plutôt élégant et suffisamment clair pour que ce soit agréable à suivre. Les personnages, qui ne se prennent pas la tête, ont suffisamment de recul sur eux-même pour sombrer du ridicule dans l'humour bon enfant. Il y a juste ce qu'il faut de suspense et de merveilleux pour que, d'une page à l'autre, notre bras aie le réflexe automatique de tourner la page sans que l'intellecture pense à l'interrompre. Et puis le comique ou l'originalité de certaines situations sont remarquablement exploités tant par la narration que dans la mise en image. Bilan : je me suis retrouvé à la fin du volume 2 quelque peu désappointé de n'avoir pas acquis le troisième...
Heureux hasard, en passant justement environ une heure après avoir écrit ceci chez mon revendeur de BD d'occase préféré, qu'est-ce que je trouve, orphelin, sur les rayonnages ? Suivant ce signe du destin, me voilà donc heureux propriétaire du troisième (et dernier) volume de la série. Volume que je m'empresse de lire, d'ailleurs. (...)
En voici un compte-rendu :
On retrouve avec plaisir l'univers de Dorothy, fait d'un étrange mélange de merveilleux et de réel. Le récit, beaucoup plus sombre et pesant prépare un lent retour vers la réalité. Mais qu'on se rassure tout de suite, le scénario n'est pas sans réserver quelques rebondissements plutôt bien trouvés, et quelques scènes d'humour. Sans oublier un bon petit nombre de dérapages loufoques et insolites qui égaient avec bonheur l'ambiance du récit. Ainsi par exemple, le dessin en mode « Picasso » chaque fois que les personnages sont figés de stupeur – hilarant ! L'auteur, tout en prenant l'essentiel du Magicien d'Oz original, ne s'est pas privé de porter sur le récit un regard contemporain, quitte à en changer quelques éléments de l'intrigue et de la morale. Que les âmes sensibles qui auraient pu craindre une issue tragique à l'ouvrage se rassurent : tout se finit bien (?) et l'épilogue « réalité », tout en couleur (et splendide au demeurant) laisse la porte ouverte à l'imagination et à l'optimisme.


Au final : le récit, rythmé par des chapitres très « la suite au prochain numéro » , est agréable à suivre, et peut être interrompu sans dommage. L'univers graphique et visuel du monde de Dorothy est tout à fait bien trouvé, et plein de douceur, sans pour autant tomber dans le guimauve « gnan-gnan», qui l'aurait réservé aux enfants. Au contraire, la fable s'adresse aux jeunes, mais aussi aux adultes qui ont gardé une petite part de jeunesse en eux (se sente visé(e) qui voudra), avec suffisamment d'auto-dérision pour ne pas non plus devenir oppressant. Une franche réussite !

HONG, Jac-ga, Dorothy Band, collection Kstr, Casterman, 2009

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