jeudi 18 février 2010

Du psychédélisme de certain conte pour enfants...


(merci à Dargaud pour l'image)


Je dois avoir le cœur un tantinet sensible, ou alors le regard tout attendri (voire ramolli) devant certaines bandes-dessinées. Toujours est-il que luttant à chaque visite dans une librairie contre la damnée compulsion dépensière, allant jusqu'à barrer d'une vilaine croix certains chefs d'œuvre avérés de ma liste d'achat, il arrive par la plus grande des contradictions (la nature humaine, paraît-il, en recèle d'infinies diversités) que la simple vue d'un album s'impose là où les argumentaires les mieux construits et les plus motivés échouent parfois à me décider.
Braise, avec sa couverture au visuel fluo et psychédélique, mâtinée de douceur bon-enfant façon « conte au coin du feu » rentre indubitablement dans la catégorie des « schais pas vraiment pourquoi, mais je l'ai pris ». Il faut dire que pour le coup, l'album a un graphisme plutôt impressionnant. Le dessin est exubérant, les encrages puissants se marient à merveille aux aplats de couleurs bruts, qui font penser à un visuel sérigraphique. La mise en page alterne scènes fourmillantes et plans détaillés, cadrages mouvementés et arrêts sur image presque surréalistes. Entre pages d'un mouvement incroyable et personnages très expressifs, l'univers graphique, est prenant et très cohérent. Il se dégage du dessin un enthousiasme communicatif, fruit d'un gros travail de construction comme de détail, malgré quelques petits bémols occasionnels qui jurent avec la fluidité et la souplesse de l'ensemble.
Dans cet ordre d'idée, le scénario oscille entre cases presque contemplatives, scènes d'action intenses, délires personnels de certains protagonistes, et gros plans sur les émotions. Ainsi, certaines cases, assorties de dialogues délicieusement extravagants, font irrésistiblement penser à de l'exagération théâtrale, renforçant d'autant un aspect « artificiel » et « décor ». L'histoire est ainsi toujours à la limite du réel et du fantastique, basculant d'une case à l'autre de la situation la plus terre à terre à des délires fantasmagoriques avec une espèce de simplicité si évidente que... Le grand enfant que je suis ne peut s'empêcher de la trouver un peu trop naturelle, quand même.
La trame scénaristique est classique, avec de gentils emprunts au flûtiste d'Hamelin et à Pinocchio, et nous assistons avec un groupe d'orphelins à un voyage en pays merveilleux qui se transforme petit à petit en descente aux enfers. Nous, qui avons lu les références sus-citées, savions bien que ça tournerait mal (pas fous, les bédéphiles). Mais on se trouve tout curieux, quand même, quand aux modalités pratiques de l'affaire, surtout que l'univers développé est riche de personnages et de complexité.
Mais trop de choses en même temps, trop de questions en suspens, trop de changements, globalement trop décousu. On peut dire que cet album est généreux, riche jusqu'à un presque écœurement, pour au final nous laisser à la 46ème planche un peu au même point qu'au départ. La narration dense, mettant en scène de nombreux points de vue, aurait mérité un nombre de pages beaucoup plus conséquent, histoire de donner plus de corps à l'impression d'enfermement et d'étouffement que distille tout l'ouvrage. Au final, à avoir côtoyé les héros de trop près, on en perd la vision d'ensemble, et il devient difficile de faire la part des choses. Ainsi Braise, le Monsieur Loyal de ce cirque macabre et étrange alterne-t-il entre cynisme, mégalomanie et guimauve sentimentale donnant l'impression d'être un agglomérat de plusieurs personnalités, la folie en moins. Le glissement de la réalité vers l'étrange, pourtant bien préparé et globalement bien mis en œuvre souffre de ces petits détails et de quelques personnages parfois trop rapidement évoqués puis oubliés. Il en résulte que ce monde de cauchemar ne donne pas l'impression d'avoir une « texture » allant au-delà de la scène en cours. On prend alors conscience de l'absence d'un fil conducteur qui manque à relier les différentes scènes, d'où un léger flottement. Dommage !

Sous ses airs de conte pour enfants, « Braise » nous propose une immersion dans un monde souterrain glauque et monstrueux. Las ! La part des choses n'est pas toujours facile à faire : la narration, tantôt enfantine, tantôt démesurément obscure (mais pourquoi donc crache-t-il des rats !?) laisse sur des sentiments mitigés. Mais si pour l'instant trop de pièces du puzzle semblent encore éparpillées ça et là, il faut bien reconnaître que la lecture page par page, sur le moment, réserve beaucoup de bons moments dans lesquels la mise en scène et la narration (surtout graphique) méritent d'être salués bien bas.

BOUTON & FORTIER, Braise, tome 1 : Maman vous aime, collection Poisson Pilote, Dargaud

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