Voici une œuvre bizarre. Pas sur la forme, non. découpage minimaliste et efficace (bien servi par le petit format qui privilégie une lecture page par page plutôt que planche par planche) , graphisme tout en aplats de noirs et trames grossières (un peu comme un journal vu à la loupe, en plus sombre), avec des formes esquissées, sans abus de détail. Juste des masses expressives au service de la narration. Sur la narration, puisqu'on en parle, et bien au fond, rien de non plus révolutionnaire : une trame scénaristique maîtrisée (une autobiographie égocentrée avec introspection autocritique sans concession). Mais alors, en quoi c'est bizarre ?
Et bien dans le rythme. On commence, et puis sans s'en rendre compte, on se retrouve cent, deux cent, trois cent pages plus tard (faut le faire, quand même) à suivre le récit d'un gars dont on ne connaît pas le nom (Igor ? de Reims, de Normandie, du Sud de la France ?) qui nous raconte sa vie avec un savant sens de la mise en scène, de l'exagération, de l'ironie et du flash back... sans qu'on sache vraiment si c'est du lard ou du cochon, sans savoir si le fantasme créatif n'a pas au fil d'une page poignardé dans le dos le pacte autobiographique pour une savoureuse digression impromptue (ou un dérapage irréversible en terra fictionata ?).
Là, je peux commencer à résumer l'histoire : un trentenaire raconte son angoisse de la page blanche et son mal-vivre de l'improduction graphique qu'elle entraîne. Glissement subtil vers la jeunesse rebelle dudit auteur. Ses tentatives avortées pour sortir un album chez Delcourt (malgré le soutien d'un monsieur nommé Caza). L'expérience « à la dure » de l'empapaoutage d'illustrateurs (côté illustrateur) pour un projet foireux de cédérom vernien. L'orientation vers la conception graphique dans une boîte de prod londonienne. Et puis après... c'est un peu moins facile à suivre : vient Mister # 84, grand ami et partenaire de délire(s) et l'époque de la conception de projets artistiques et commerciaux aux States. Pour enfin arriver dans les milieux de la diffusion et de la communauté virtuelle online (n'oublions pas que l'ouvrage a été publié au rythme de dix pages par jour sur Internet), avec une conclusion épique où l'auteur se remet gentiment en place, et un bonus d'illustrations en couleurs qui croquent le personnage. Alors, qu'en penser ? Que c'est bizarre.
Ceci dit, on n'en attendait pas moins d'une grenouille noire. Et puis le temps de la lecture de ce carnet, il faut reconnaître qu'on a quand même bien été entraîné, un peu comme dans un délirium très rêve : toujours droit devant, avec panache et petits soucis. Tiens, je crois que je prendrais la suite, pour voir...
La Grenouille Noire, Conscient de vacuité, éditions Café Salé (CFSL Ink, filiale d'Ankama)
PS : C'est quand même gros, cette autobiographie, mais on a bien envie d'y croire. Ah, cartésianisme, quand tu nous tiens... Que ne nous fais-tu pas douter ! Donc, pour approfondir la chose et vous faire votre propre idée : googlez donc Igor Alban-Chevalier...
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